II n’est pas rare que des époux vivent de façon séparée sans prendre la peine d’officialiser leur rupture. Cette négligence peut être à l’origine de nombreuses déconvenues. En effet, l’indépendance que semble conférer la séparation de fait aux époux désunis est illusoire.
La séparation de fait vise la situation où deux conjoints ont décidé, souvent conjointement mais pas forcément, de ne plus vivre ensemble. L’origine de cette situation de pur fait diverse : accord tacite pour ne plus vivre ensemble tout en maintenant le lien matrimonial pour préserver les enfants, choix de ne pas divorcer pour ne pas supporter les frais liés à cette procédure, convictions religieuses incompatibles avec l’officialisation de la rupture, simple négligence…
Le mariage subsiste
Quelle que soit son origine, la séparation de fait laisse subsister le mariage entre les époux et notamment l’application des règles découlant de leur régime matrimonial, ce qui peut générer des conséquences aussi fâcheuses qu’inattendues. Pour les raisonnements qui vont suivre, l’on considérera que les époux sont soumis au régime légal de la communauté réduite aux acquêts. Ce régime est celui de la très grande majorité des Français, notamment de ceux, très nombreux, qui n’ont pas pris la peine de régulariser un contrat de mariage avant la célébration du mariage.
Le partage « officieux » est impossible
Les époux n’ont pas la possibilité de régulariser entre eux une convention à l’effet de liquider leur régime matrimonial. Une telle convention serait forcément frappée de nullité. La seule solution pouvant leur permettre de procéder au partage définitif de leurs biens est d’avoir recours au divorce, à la séparation de corps ou encore de changer de régime matrimonial. Dans la mesure où les époux ne se dirigent vers aucune de ces procédures, les règles inhérentes à leur régime matrimonial leur demeurent applicables.
Les droits et obligations du mariage demeurent
Les époux bien que séparés demeurent tenus des droits et obligations du mariage. Il en va ainsi notamment du devoir de fidélité. Le manquement de l’un des époux sur ce point pourrait être invoqué à son encontre par l’autre époux dans le cadre d’une procédure en divorce pour faute. De même, le devoir de secours entre époux subsiste. Cela signifie que si l’un des époux se retrouve dans une situation financière qui ne lui permet plus de faire face à ses besoins, il sera en droit de demander à l’autre époux une pension alimentaire. Cette pension sera fixée en fonction des besoins de l’époux demandeur et des ressources de l’époux contre lequel l’action est dirigée. Cependant, ce dernier a la possibilité de demander à l’autre de reprendre la vie commune. Mais l’époux qui a subi la séparation voulue par son conjoint ou qui a des raisons légitimes pour se soustraire à son devoir de cohabitation pourra demander une pension alimentaire sans être obligé de reprendre la vie commune. L’on songe notamment à l’époux qui a dû quitter le domicile conjugal en raison d’un comportement violent de son conjoint.
Une vocation à l’enrichissement comme à l’appauvrissement
En dépit de la séparation des époux, il subsiste entre eux une interdépendance économique, pour le meilleur comme pour le pire.
La communauté qui existe entre les époux a vocation à s’enrichir, en principe, de toutes les économies et de toutes les acquisitions réalisées par les époux. Ainsi, chacun continue à contribuer à l’enrichissement de son conjoint, notamment par ses revenus. La communauté n’aura vocation à être partagée qu’à compter du jour où elle sera dissoute, c’est-à-dire notamment en cas de divorce ou de décès. Parallèlement, chacun des époux peut toujours être poursuivi sur ses salaires et ses biens propres (ceux qui ne dépendent pas de la communauté) s’agissant des dettes qui ont pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants (loyers et charges de copropriété afférents au logement de la famille, dépenses de santé…). Les exceptions à cette solidarité concernent essentiellement les dépenses manifestement excessives, inutiles ou les emprunts sauf lorsque ces derniers portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante.
Des règles de gestion inadaptées
Sous le régime de la communauté, un certain nombre de biens ne peuvent être vendus sans que les deux époux donnent conjointement leur accord. Il en est ainsi notamment des biens immobiliers, des fonds de commerce et artisanaux et des droits sociaux non négociables (parts de société civile immobilière, de SARL, de société en nom collectif…). Il s’agit de protéger les conjoints face à des actes qui peuvent avoir de graves conséquences sur le patrimoine commun. Si de telles règles se comprennent lorsqu’il existe une communauté d’intérêts entre les époux, elles sont souvent mal vécues lorsque les conjoints sont séparés, parfois depuis de longues années.
La vente d’un fonds de commerce
Imaginons le cas d’un époux qui après la séparation a créé un fonds de commerce et l’exploite personnellement. Quelques années plus tard, il désire céder ce fonds pour en acquérir un autre mieux placé. À son grand étonnement, il réalise qu’il ne peut céder seul ce fonds, quand bien même sa création a eu lieu après la séparation et résulte de son travail personnel. Effectivement, l’exploitation concernée dépend de la communauté. De ce fait, il a impérativement besoin de l’accord de son conjoint. Cette immixtion est ressentie de manière désagréable. La situation risque de devenir franchement contentieuse si, pour diverses raisons, l’autre époux refuse de donner son consentement.
L’acquisition d’un nouveau logement
L’une des situations les plus problématiques est probablement celle où l’un des époux séparés de biens désire procéder à l’acquisition d’un bien immobilier. Comme tout autre bien acquis par les époux, le bien immobilier dépendra de la communauté de biens. Il aura ainsi vocation à être partagé entre les deux époux lors de la dissolution du mariage (divorce, décès…).
L’époux acquéreur ne pourra ni vendre ce bien ou ni le donner en garantie sans l’intervention de son conjoint. La situation devient très embarrassante lorsque cette acquisition est réalisée par un époux avec une autre personne, notamment un concubin, puisque le bien appartient potentiellement aux deux époux ainsi qu’au concubin. Il devient alors franchement problématique d’assurer la protection du concubin acquéreur en cas de décès. Le sort du bien demeure, en effet, incertain tant que la communauté n’a pas fait l’objet d’un partage entre les époux.
Pour remédier à cette situation, l’époux séparé de fait a tout intérêt à consulter son notaire, qui envisagera avec lui les conséquences patrimoniales de son investissement et lui proposera la solution la plus adaptée à sa situation personnelle. Il sera souvent nécessaire de s’orienter vers un divorce afin d’assainir la situation ou, si les époux n’entendent pas divorcer, effectuer à tout le moins un changement de régime matrimonial avant de procéder à l’acquisition du bien immobilier.